..

Nicoletta, des hauts-fourneaux aux paquebots

Fondée en 1907 pour peindre les installations sidérurgiques de Lorraine, l’entreprise a étendu et diversifié ses marchés. Mais elle a traversé de grosses tempêtes.

Dans le salon d’accueil de son actuel siège social à Augny, dans la banlieue de Metz, une peau de vache violette annonce la couleur : à 116 ans, l’entreprise de peinture Nicoletta entend rester pimpante. Spacieux et ouverts, les locaux de 2.350 mètres carrés regorgent de surprises chromatiques et de témoignages du passé. Des grapheurs ont stylisé les cinq générations qui se sont succédé à la tête de l’entreprise. Une plaque « Rue Michel Nicoletta » rappelle que son fondateur avait créé un petit quartier à Vitry-sur-Orne, dans le même département de la Moselle, juste en face des huit hauts-fourneaux qui allaient assurer l’essor de son entreprise de fumisterie (décapage des cheminées), puis de peinture industrielle.

L’épopée sidérurgique de la Lorraine a fait la fortune de Nicoletta. Mais son déclin a failli être fatal à l’entreprise familiale. Plombée par un conflit successoral et plongée dans la tourmente de l’industrie lourde régionale, la société de peinture risquait fort de ne pas passer le cap du XXIe siècle.

Mon père laissait entendre qu’il valait mieux quitter une région sans avenir mais, en même temps, il faisait tout pour que l’histoire perdure. Confronté à cette ambivalence perturbante, j’ai intégré l’entreprise fin 1999, pour ne pas risquer de regretter de n’avoir pas tenté ma chance.

Christophe Nicoletta, actuel PDG du groupe

Alors âgé de 33 ans, le jeune cadre avait poursuivi des études à Miami et fait ses preuves chez L’Oréal .L’expérience d’une multinationale lui a été utile pour recadrer la PME, riche de son savoir-faire mais dépourvue d’indicateurs économiques et de stratégie commerciale.

Des marchés qui s’envolent

A l’époque, le repreneur de l’entreprise, endettée et déficitaire, voit de surcroît s’envoler des marchés sidérurgiques . Sollac n’embarque pas son sous-traitant dans ses nouveaux marchés brésiliens. ArcelorMittal, né de la fusion en 2002 du luxembourgeois Arbed, de l’espagnol Aceralia et du français Usinor, préfère rapatrier l’activité de grenaillage et de traitement des surfaces au Grand-Duché. « La pression des équipes, des fournisseurs et des banques était maximale. A postériori, j’ai réalisé que c’est l’objectif du centenaire qui m’a aidé à tenir coûte que coûte », analyse Christophe Nicoletta.

Une fois franchi le cap du premier siècle d’existence, les tempêtes s’apaisent peu à peu autour de la PME. L’entretien des ouvrages d’art de la SNCF, de nouveaux marchés auprès de l’industrie automobile, de petites croissances externes régionales remettent Nicoletta à flot. La reprise de l’entreprise Sériès 2000, à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), lui ouvre le marché de l’industrie navale et des chalutiers. En 2008, en pleine crise financière, l’entreprise, qui compte alors 150 salariés, reprend son concurrent Fantoni, dans la Marne, qui en emploie 200. A l’occasion de cette grosse opération, Christophe Nicoletta ouvre le capital de la société à une dizaine d’associés, tous responsables de centres de profit, tout en conservant 80 % des parts dans le giron familial.

« Prévoir le pire et avancer »

L’entreprise trouve sa vitesse de croisière, non sans certains écueils. La réorganisation conduit à une centaine de suppressions de poste, sans plan social. En 2018, le prestigieux marché luxembourgeois de la rénovation du pont de la Grande-Duchesse Charlotte tourne mal : des difficultés techniques imprévues engendrent un surcoût que le maître d’ouvrage refuse de prendre en compte, contraignant Nicoletta Lux à la faillite. A cette même époque, Christophe Nicoletta perd son directeur technique, associé et ami d’enfance Thierry Grange. Mais il inaugure fièrement le nouveau siège social à Metz et intègre son fils Ugo, représentant de la cinquième génération, comme chargé d’affaires.

La crise sanitaire cueille l’entreprise à froid. Elle fait plonger son chiffre d’affaires de 40 % mi-2020, avant une remontée spectaculaire. Avec 250 salariés pour 26,5 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2022 et 13 agences réparties entre la Lorraine et la Bretagne, le groupe a renoué avec les bénéfices. « L’expérience nous a appris à prévoir le pire et avancer quand même », résume Christophe Nicoletta.

L’entreprise s’est adaptée à des normes de sécurité de plus en plus exigeantes et multiplie les certifications pour rester à la pointe du progrès, notamment grâce à des peintures rafraîchissantes susceptibles de contrer le réchauffement. Son dirigeant s’intéresse aussi à la robotique et à l’intelligence artificielle, mais affirme croire avant tout à l’intelligence collective.

Nicoletta en trois dates

1907 Michel Nicoletta se lance dans la fumisterie des hauts fourneaux mosellans.

2008. Le groupe Nicoletta rachète son concurrent Fantoni.

2018 Inauguration du nouveau siège social, reconstruit près de Metz.


--Télécharger l'article en PDF --


Pascale Braun

Scroll To Top