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La Lorraine panse les cicatrices de l’après-mine

Voici dix ans, des affaissements miniers ébranlaient le bassin ferrifère. Plusieurs décennies après l’arrêt de l’exploitation, les affaissements de galeries continuent à fragiliser le bassin ferrifère.

affaissements-Rosbruck après-mineAprès cent cinquante ans d’exploitation ferrifère intensive et une restructuration qui lui coûta quelque 40 000 emplois, la Lorraine pensait avoir tourné la page des mines de fer. Mais le 14 octobre 1996, l’effondrement de la cité de Coinville à Auboué (Meurthe-et-Moselle) ouvrit une ère chargée de nouvelles menaces. Au cours des dix dernières années, effondrements, affaissements et fontis (cratères se formant en quelques minutes à la surface du sol) ont détruit ou condamné 400 habitations.

Au terme d’un gigantesque chantier cartographique, le groupement d’intérêt public Géodéris, qui associe l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Inéris) et le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a inventorié 103 communes sur une surface de 42 887 hectares. D’ici début 2008, il prévoit d’en expertiser 62 autres, soit 12 561 hectares.

D’abord pris au dépourvu, l’Etat et les communes ont appris à faire face à une nouvelle donne. Faute d’exploitant, la collectivité a dû prendre en charge l’indemnisation et le relogement des sinistrés, prévenir les périls imminents et remodeler l’urbanisme pour réaffecter des sols irrémédiablement minés.

Naguère, les exploitants relogeaient les sinistrés dans les maisons vacantes. Mais lors de la fermeture des puits, ils ont cédé leur parc immobilier aux occupants ou à des particuliers. La vente de ces logements s’est souvent accompagnée d’une clause interdisant à l’acheteur de poursuivre le vendeur en cas de dégâts miniers. Les premiers sinistres ont engendré des drames, notamment pour les couples âgés se trouvant brusquement sans domicile, sans ressource et sans recours.


Relogements anticipés

Le droit à l’indemnisation des sinistrés « sur la base de la valeur vénale » des logements détruits est garanti par la loi du 30 mars 1999. Toutefois, les estimations des ­Domaines ne correspondent jamais au prix d’achat d’une habitation équivalente, créant de nouveaux litiges. La loi du 30 juillet 2003 instaure une procédure d’expertise simplifiée et garantit une indemnisation dans un délai de trois mois.

JeanYves-le-DeautMais elle reste floue dans la définition de l’affaissement soudain, occulte l’indemnisation des communes et la perte d’activité, et récuse toujours l’indemnisation des sinistrés sur la base de la valeur à neuf des immeubles détruits.

Jean-Yves Le Déaut, vice-président du conseil régional de Lorraine

Le progrès majeur réside dans le relogement par anticipation, démarche initiée depuis la découverte d’un risque d’affaissement brutal à Fontoy (Moselle), il y a deux ans. L’établissement public foncier de Lorraine, le conseil régional et la préfecture de région se sont associés pour édifier un lotissement dont la première tranche est réservée aux expropriés. Une convention analogue a été signée à Moutiers (Meurthe-et-Moselle), où 80 familles font l’objet d’une procédure d’expulsion.

En dépit de multiples études, nul n’est en mesure aujourd’hui d’affirmer la cause de ces effondrements. En revanche, Géodéris a développé une réelle expertise dans la localisation et la modélisation des risques. La méthodologie est en passe de s’appliquer à 3 500 anciennes mines dans toute la France.


Réseau de surveillance

Dans les zones présentant des risques d’affaissement, la loi prévoit soit le comblement des zones, soit l’expropriation des habitants. La surveillance permanente des galeries permet de sortir de ce dilemme, tout en assurant la sécurité publique.

Jean-Pierre ­Josien, directeur de ­Géodéris

L’organisme a monté 19 réseaux de surveillance micro-sismique regroupant 44 stations dotées de capteurs sonores ou de caméras dans les galeries. 7 d’entre elles servent à prévenir des risques d’effondrement brutal sous les routes et le bâti. Les 37 autres concernent des zones d’affaissement où l’écroulement des piliers ne se traduira pas par un mouvement de terrain brutal, mais par des dégâts étalés sur plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Nul ne peut prévoir quand les piliers céderont, ni même, s’ils céderont. Seule certitude : après l’écroulement des galeries, les zones seront définitivement sécurisées.

Alors que les sinistres engloutissaient des pans entiers du ban communal (10 % en un mois à Auboué !), la préfecture de Lorraine décidait, au nom du principe de précaution, un gel total de l’urbanisme. En décembre 1998, la directive territoriale d’aménagement des bassins miniers nord-lorrains (DTA) a apporté une bouffée d’oxygène, en stipulant que « l’éventualité d’affaissement ne doit plus conduire à des interdictions systématiques de construire ».


Reconquête des sols

Au cours des trois dernières années, six plans de prévention des risques miniers (PPRM), élaborés par la préfecture sur la base des travaux de Géodéris, ont permis de définir de nouveaux sites constructibles dans une dizaine de communes.

Andre-CorzaniL’étau se desserre enfin, après huit ans de gel qui ont causé de graves dommages en termes d’image et de développement.

André ­Corzani, maire de Joeuf et conseiller général de Meurthe-et-Moselle, chargé de l'après-mine

Le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), qui a rendu fin 2004 une étude sur la résistance de l’habitat classique face aux aléas miniers, élargira cette année ses travaux aux matériaux alternatifs, tels l’acier et le bois.

Ces nouveaux modes constructifs sur des terrains dûment expertisés constituent un gage d’avenir pour le bassin ferrifère. A condition que les surcoûts ne soient pas un nouvel obstacle à la reconquête des sols.

Les réussites

  • La Lorraine a affiné son expertise en matière de surveillance micro-sismique des galeries.
  • Le relogement des sinistrés est désormais anticipé.
  • Les plans de prévention des risques miniers permettent de définir de nouveaux sites constructibles.

Les écueils

  • L’indemnisation des sinistrés reste inachevée et source de litiges.
  • Les communes n’ont pas été indemnisées et leur image s’est dégradée.


Un combat inachevé

Les affaissements ont généré une mobilisation exceptionnelle parmi les associations, les élus et les habitants.

Colette Goeuriot, présidente du Collectif de défense des bassins miniers lorrains
Colette Goeuriot

Nous avons perdu certains combats, comme l’ennoyage des galeries du bassin nord décidé en début d’année, en dépit de 25 000 signatures. Mais nous avons obtenu des avancées en matière d’indemnisation et de constructibilité.

Colette ­Goeuriot, présidente du collectif de défense des communes minières de Lorraine

La structure a appris récemment l’existence de 18 zones de fontis dans des quartiers pensés sûrs.

Nous nous inquiétons de la gestion de l’eau lorsque les galeries se seront remplies. Cette ressource doit bénéficier aux communes et non aux grands groupes privés déjà positionnés. Nous menons depuis dix ans un combat exaltant, mais toujours inachevé.

Colette ­Goeuriot

Un parlement : la Ciam

Fondée en 1997 sous l’égide des préfets de Moselle, de Meurthe-et-Moselle et de Meuse, la Conférence interdépartementale sur les conséquences de l’arrêt de l’activité minière (Ciam) regroupe les représentants des trois conseils généraux, du conseil régional de Lorraine, des exploitants et des établissements publics concernés. La Ciam s’est impliquée dans de nombreux dossiers : la prévention des risques, l’ennoyage des dernières galeries du bassin ferrifère nord, les plans de prévention des risques miniers et la constructibilité des sols fragiles.
Auboué mise sur l’habitat bioclimatique

Gravement affectée par les affaissements miniers, notamment le premier effondrement dans la région, celui de la cité de Coinville en octobre 1996, Auboué marque sa volonté de reconquête urbaine. Avec l’Opac de Meurthe-et-Moselle, pionnier de l’habitat bioclimatique, la commune a inauguré un programme de huit pavillons bioclimatiques en 2003. Les principes constructifs et architecturaux ont valu à Auboué le deuxième prix national du concours de l’Union locale pour l’habitat en 2005.


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Pascale Braun

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